Le Great-Eastern

Article de Fulgence Girard paru dans Le Monde illustré n°11, p. 8, le 27/06/1857.

Cet article fait partie d’une séries de 2 articles :


M. Brunel (1806 – 1859)
M. Brunel (1806 – 1859)
John Scott Russell (1808 – 1882)
John Scott Russell (1808 – 1882)

À propos de cet article

« Great Eastern » en construction
  • Le Great Eastern, imaginé par Isambard Kingdom Brunel fut le premier paquebot géant. Il marchait à voile et à vapeur (pyroscaphe veut dire bateau à vapeur).
  • Il semble que la désignation MM. Scott et Russel utilisée par Girard désigne en fait une seule personne : John Scott Russell (1808 – 1882), ingénieur naval et mathématicien, partenaire dans la construction du navire. Russell était cependant en grandes difficultés financières, ce que ne savait pas Brunel, et qui occasionnera de nombreux retards.
  • Ce fut le dernier grand projet de Brunel, qui eut un malaise sur le pont du navire et décéda quelques jours plus tard.
  • La première mise à l’eau fut un échec (voir l’article dédié « Baptême du Léviathan »), et dut être recommencée trois mois plus tard, en 1858.
  • Malgré l’enthousiasme de Girard, ce navire fut un célèbre fiasco. Le navire dut faire face à de nombreuses difficultés. Après le lancement (à la seconde tentative), la compagnie pour la navigation orientale (Eastern Steam Navigation Company) est au bord de la banqueroute. Son constructeur le vend à perte au Great Ship Company qui le met sur l’Atlantique Nord. Le navire roule affreusement et supporte mal le gros temps ce qui rend la traversée très inconfortable. Le Great Eastern ne fera, sans jamais faire le plein de passagers, que 12 voyages en 4 ans, ponctués de nombreux incidents et accidents qui coûteront cher au Great Ship Company. Cette compagnie est finalement mise en faillite en 1863 et le navire est désarmé, et vendu comme câblier. Il fut notamment utilisé en 1865 pour poser les 4 200 km du câble télégraphique transatlantique, ainsi qu’à diverses autres poses de câbles jusqu’à son démantellement en 1889.
  • Ce navire inspira pourtant à Jules Verne, qui avait effectué à son bord une traversée de l’Atlantique, son roman Une ville flottante, et à Victor Hugo un passage de La Légende des Siècles.
  • Le Vanderbilt mentionné par Girard a été l’objet d’un de ces articles ici.
  • Cliquez sur ces liens pour en savoir plus (Wikipédia)
  • Nous avons trouvé dans la revue un autre article sur ce navire, signé Delauney, dans le numéro 27, p7.

Le Great-Eastern.



Le « Great-Eastern »
Le « Great-Eastern »

L’architecture navale est en voie d’accomplir d’éclatants progrès. Nous avons constaté ceux qu’ont réalisés la France et l’Amérique, et dont le vaisseau la Bretagne et le steamer le Vanderbilt sont à la fois les preuves et les monuments. L’Angleterre en prépare d’immenses.

Un de ses architectes, M. Brunel, – un Français d’origine, disons-le en passant, – dirige actuellement, à Millwall, dans les chantiers de la compagnie pour la navigation orientale, la construction d’un navire qui laissera bien loin derrière lui tous les bâtiments lancés à l’eau jusqu’à ce jour.

La flotte française a son géant, la marine américaine possède son colosse, les bassins anglais vont avoir… que devons-nous dire ?… leur monstre, en attachant toutefois à cette expression son sens originel : l’acception du mot prodige.

La Bretagne a 260 pieds anglais de l’étambot à l’étrave, le Vanderbilt en présente 340 ; mais que sont ces longueurs auprès de celle du Great-Eastern qui n’en mesure pas moins de 680 ?

Toutes les dimensions de ce merveilleux navire sont en rapport parfait avec ce développement : sa largeur est de 83 pieds, sa profondeur est de 60. Ces éléments de grandeur donnent donc, par leur combinaison avec le premier, une jauge de 22,500 tonnes.

On peut se créer facilement l’image que présentera cette belle carène qui, sans fret, s’élèvera de 40 pieds au-dessus du niveau de la mer, et qui, chargée de 18,000 tonnes, dominera encore les vagues de 30 pieds, sa lice non comprise. Cette élévation de son tillac supérieur au-dessus de ses lignes de flottaison a un avantage immense : elle est suffisante pour que les lames ne puissent jamais le balayer. Le Great-Eastern pourra donc, quels que soient le déchaînement des vents et le soulèvement des vagues, quelle que voit la violence de la tourmente, poursuivre sa course à travers les plaines mugissantes de l’Océan, sans que le choc furieux des flots contre sa masse, jette la moindre perturbation dans la manœuvre. Il sera vraiment le roi des tempêtes.

Tout y a été d’ailleurs calculé pour la sécurité, de manière à prévenir toute chance de désatre. La coque, construite en fer, – dont elle a absorbé 7,000 tonnes, – est divisée en compartiments séparés les uns des autres par des cloisons établies de telle sorte, qu’une voie d’eau quelque abondante qu’elle fût, un choc quelque terrible qu’il pût être, une explosion de machine quelque foudroyante qu’elle éclatât, ne pourraient jamais ouvrir à l’envahissement de la mer que l’une de ces divisions, où le flot se trouverait nécessairement arrêté. Un incendie qui ne pourrait être étouffé de suite serait comprimé avec une facilité égale dans le compartiment où il aurait éclaté. Le Great-Eastern peut éprouver des accidents, essuyer des avaries ; une catastrophe paraît impossible.

On sent que l’architecte qui a conçu le plan de ce merveilleux navire n’a négligé aucun des avantages qu’il pouvait y réunir. Ce qu’il a fait pour sa sûreté, il l’a étendu à sa commodité et à son élégance. Nous allons signaler quelques-unes des autres combinaisons qui doivent en faire un paquebot sans rival. Sa construction a repoussé toute diversité de plans et de niveaux dans ses grandes lignes. Il n’aura ni dunettes, ni passavant, ni gaillards. Son pont supérieur offrira à l’œil une plate-forme unie de plus de 660 pieds de longueur, et à la promenade de ses passagers un cours elliptique de plus d’un demi-mille. Le confortable et le luxe de ses chambres seront ceux des plus riches hôtels. Un trait suffira pour faire apprécier la somptuosité de celle installation : ses principaux salons occuperont un développement de 400 pieds.

L’habile ingénieur a demandé à tous les modes de propulsion les moyens d’imprimer le mouvement à cette masse énorme ; il les a combinés de manière à obtenir dans leur application autant de puissance que d’économie.

Le Great-Eastern sera muni de sept mâts. Les deux de misaine (ceux de l’avant) et les trois d’artimon (les plus voisins de l’arrière) porteront des brigandines et des trinquettes ; les deux grands mâts intermédiaires, portant mâts de hune et de perroquet, offriront sous vergues à la pression du vent toute les voiles que comporte cette mâture ; ils recevront en plus une brigandine de la même dimension que celle des autres. Le Great-Eastern, bien que privé de beutré, pourra déployer deux focs pour développer sa marche ou faciliter sa manœuvre.

Cette voilure restera cependant le moteur secondaire ; ce bâtiment sera surtout un pyroscaphe ; mais, par une combinaison qui n’a pas encore été tentée, il fera fonctionner à la fois un appareil de roues et un appareil d’hélice. La première machine, desservie par quatre chaudières mettant en mouvement quatre cylindres, réalisera une force nominale de 1,600 chevaux de vapeur que l’on pourra élever sans danger à 2,000. Elle a été construite par MM. Scott et Russel. La machine à hélice déploiera une puissance de 1,000 chevaux, qu’il serait possible sans péril d’élever au delà de 1,200. Elle est sortie des ateliers de MM. James Watt et compagnie. Le diamètre des roues sera de 60 pieds, celui de l’hélice de 24.

On ne peut douter de la supériorité des résultats qu’obtiendront un pareil déploiement et une telle combinaison de moyens d’action. Les calculs de l’ingénieur assurent, que la moyenne de la vitesse sera de 4 nœuds à l’heure, toutes compensations de temps et de mer comprises, toute suspension et diminution de sillage calculées. La traversée du Great-Eastern, allant d’Angleterre dans les Indes orientales par le cap de Bonne-Espérance, serait ainsi de trente à trente-trois jours. Il en mettrait trente-trois à trente-six à se rendre de Plymouth en Australie.

FULGENCE GIRARD.


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