Naufrage de l’Excel, de Weymouth, à l’entrée du port de Calais

Article de Fulgence Girard paru dans Le Monde illustré n°44, p. 109, le 06/02/1858.


À propos de cet article

Naufrage de l’Excel, de Weymouth, à l’entrée du port de Calais.


Naufrage de l’Excel, à l’entrée du port de Calais
Naufrage de l’Excel, à l’entrée du port de Calais
Le jeudi, 21 janvier dernier, vers huit heures du matin, un groupe de marins qui, malgré la violence d’une anordie mugissant avec fureur, s’étaient réunis à l’extrémité de la jetée de Calais, aperçurent avec inquiétude et bientôt après avec effroi une goëlette de cent tonneaux environ, apparaître dans le nord-nord-est.

La mer était terrible ; fouettée par les rafales, elle roulait ses lames en longues barres écumeuses, qui ne déferlaient sur elles-mêmes que pour se soulever de nouveau et rouler plus menaçantes.

La goëlette, à sec de voiles, fuyait devant le temps. Elle parut d’abord ne pas s’apercevoir ou ne pas s’inquiéter de la force de la mer qui la drossait sur la côte. Ce ne fut qu’arrivée à deux kilomètres environ du port, et prévenue sans doute par les cris et les signaux de nos marins, qu’elle déploya son hunier pour tâcher de prendre la bordée du large.

Il était trop tard ! En vain, serrant le vent au plus près, s’efforça-t-elle de se raidir contre la double puissance du vent du flot qui l’affalait sur la plage ; loin de mordre sur les lames, elle perdait à chaque instant de l’espace. Elle lutta cependant avec énergie. M. le commissaire de marine, le capitaine du port, le consul d’Angleterre, les membres de la Société humaine et un grand nombre de marins accourus sur le môle, suivaient avec émotion la péripétie émouvante de ce drame. La faible embarcation succomba enfin sous l’effort de la tempête ; elle s’échoua à l’ouest du port.

Un cri s’échappa de tous les cœurs ; ce n’était pas un cri de découragement et de désespoir. On s’occupa aussitôt à organiser du secours, chacun ne songea qu’à affronter tous les dangers du sauvetage pour arracher les malheureux naufragés à la mort.

Alors s’engagea une lutte acharnée, héroïque, sublime entre les marins réunis sur la plage et cette mer furieuse bondissant sous le déchaînement de la tourmente ; ni la violence du vent, ni l’énormité des lames qui venaient ébranler la jetée sous leur caoc, ne purent intimider leur dévouement. Quatre fois les canots élancés au milieu de cette mer furieuse attaquèrent ses lames convulsives, franchirent leur sombres gonflements sans pouvoir atteindre la pauvre embarcation ; quatre fois elles furent rejetées à la côte.

À trois heures de l’après-midi, la coque de la goëlette disparut sous les flots que dominèrent seuls ses mâts sur les hunes desquels s’étaient réfugiés deux malheureux : l’effroi et la pitié n’en devinrent que plus profonds, on ne songea qu’à tenter de nouveaux efforts pour arracher au moins à l’ouragan ses deux dernières victimes.

La nuit qui, sur ces entrefaites, descendit sur la mer et sembla ensevelir ces malheureux dans ses ténèbres, ne fit que donner plus d’énergie à cette résolution héroïque.

À neuf heures, huit hommes montés sur le bateau de sauvetage d’un steamer anglais, alors dans le port, s’élancèrent audacieusement sur cette mer formidable dont l’écume phosphorescente jetait dans la nuit des lueurs funèbres : ces hommes dévoués trouvèrent tant de vigueur dans la force de leur volonté que cette fois toutes les lames furent franchies ; ils touchaient au navire submergé, ils s’applaudissaient déjà de leur victoire, lorsqu’une énorme masse d’eau se précipitant et s’écroulant sur eux, les désempare de leurs avirons et les rejeta encore sur la rive.

On sentit l’inutilité de tentatives nouvelles qui ne pouvaient plus qu’ajouter de nouvelles catastrophes au désastre. Quelque navrant que fût cet ajournement, il fallait attendre.

Une question s’offrait aux esprits : les malheureux abandonnés dans cette mâture pourraient-ils y résister jusqu’au jour ? Cette mâture elle-même ne se sera-t-elle pas abîmée dans la mer ? C’était à craindre.

L’aube parut ; à ses premières clartés on reconnut avec joie que la mâture était encore debout et qu’un homme était encore cramponné à la hune.

L’espérance se ranima dans tous les cœurs ; la force du vent était sensiblement tombée ; les flots avaient eux-mêmes perdu de leur violence impétueuse. On reprit l’œuvre interrompue du sauvetage avec une ardeur et une résolution toutes nouvelles.

Deux embarcations s’armèrent pour tenter simultanément et concurremment cette généreuse conquête. La chaloupe de l’administration des postes par le pilote Fiquoy, chevalier de la Légion d’honneur, Lasquelle, également pilote, Baren (Jacob) Dohen, Lasquelle (Julien), Coittet, Malfoy et Lebac (Charle) ; le canot du steamer britannique reçut à son bord sept marins anglais : George Bridgeford, James Malet, John Reed. Charles Pittwood, George Croft, Alexandre Shaw et Barstet Thomsett.

Ces deux embarcations s’élancèrent à l’envi vers les eaux où le malheureux réfugié sur le mât du navire sombré semblait suspendu par ce mât même au-dessus de l’abîme prêt à le dévorer. Tous les regards animés, tous les cœurs suivirent avec anxiété ce double effort, cette magnanime rivalité de dévouement. La chaloupe de l’administration rangea d’abord la jetée de l’est, puis se porta vigoureusement sur la goëlette naufragée. Elle fut arrêtée dans son élan par une ligne de brisants qu’elle ne put franchir ; elle voulut la tourner : ses efforts, qui la compromirent gravement un instant la portèrent trop à l’ouest et lui firent manquer son but.

Le canot du steamer fut plus heureux ; grâce à son faible tirant d’eau, il franchit ardemment la ligne du récif qui avait arrèté l’embarcation rivale. Après de longs efforts, il atteignit le lieu du sinistre et le marin survivant fut sauvé, aux acclamations de la foule qui s’agitait émue sur la plage.

Le navire naufragé était l’Excel, de Weymouth, capitaine Joseph Réal. Il portait un chargement de granit de Guernesey à Londres. Son équipage était composé de six hommes. Quatre avaient sombré avec lui. Deux s’étaient réfugiés dans les hunes : le matelot William-Antony Combard que nous avons vu arraché miraculeusement à la mort, et le lieutenant Roberd Lée ; épuisé de fatigue. Ce dernier avait succombé vers minuit et disparu dans les flots.

FULGENCE GIRARD


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