Biographie d’Alexandre-Louis-Honoré Lebreton Deschapelles Alexandre-Louis-Honoré Lebreton Deschapelles (1780-1847) était champion d’échecs et de whist. Aux échecs, il a laissé peu d’écrits ; il a été champion après Philidor, et avant La Bourdonnais. Il a eu aussi un rôle politique peu connu, que les recherche de notre correspondant, Pierre Baudrier, essaient de débrouiller.

Alexandre-Louis-Honoré Lebreton Deschapelles

Le trait le plus marquant de Deschapelles, c’est qu’il était à la fois 1° le chef de la Société Gauloise, noyau dur de l’insurrection républicaine des 5 et 6 juin 1832, et 2° le beau-frère et l’oncle par alliance des écuyers O’Héguerty de la cour de Charles X en exil (1)

À la suite de l’insurrection de juin 1832 Chateaubriand avait été arrêté et dans les Mémoires d’Outre-Tombe, évoquant ses interrogatoires par le juge Desmortiers, il écrit " Dans un de ses interrogatoires, il me lut une lettre de Charles X au duc de Fitz-James, et où se trouvait une phrase honorable pour moi. " (2). Effectivement, Charles X écrivait " … entendez-vous avec le porteur de ce petit mot pour parler en mon nom à l’homme qui travaille avec autant de zèle que de talent à completter une belle et honorable vie… " (3) Le duc de Fitz-James, incarcéré et interrogé sur le sens de cette phrase, identifia également " l’homme qui travaille avec autant de zèle " à Chateaubriand (4) Mais Desmortiers n’était pas de cet avis. Selon lui, " cet homme qu’il est facile de reconnaître est l’un de ceux avec les quels, suivant l’inculpation, vous seriez en rapport et ces mots du Roi Charles X, paraîtraient donner à l’inculpation quelque consistance. " (4). Et cet homme, ce n’était pas Chateaubriand mais Deschapelles. De toute évidence Desmortiers connaissait la teneur du rapport Gisquet sur les événements de juin 1832 (5), rapport au maréchal Soult où l’on peut lire : " … Je dois aussi vous faire remarquer la coïncidence dont je suis frappé entre ces faits et ceux qui viennent de mettre MM. de Fitz-James et de Chateaubriant sous la main de la justice. Je me bornerai, pour vous en convaincre, à vous citer la lettre écrite par Charles X le 17 avril et saisie dans les papiers de M. de Fitz-James, lettre dans laquelle il est question d’un personnage signalé comme travaillant dans l’intérêt de la dynastie déchue et que je présume être M. Deschapelles, et la lettre que M. de Chateaubriant fit insérer dernièrement dans les journaux pour révéler la sorte de sympathie et les relations fréquentes qui existaient entre lui et des chefs du parti républicain… " (6).

Peut-être Chateaubriand et Deschapelles ne se sont-ils jamais rencontrés (7) mais le rapport Gisquet évoque des contacts entre le duc de Fitz-James et Deschapelles : " … Deschapelles possédait rue du faubourg du Temple n° 120 une maison avec un vaste jardin. Ce fut probablement dans cette maison que s’effectua l’organisation de la société Gauloise et qu’à l’aide d’une presse secrète furent tirés les brevets des Tribuns et Centurions et les cartes délivrées aux simples membres. De nombreuses réunions eurent lieu dans cette maison et notamment dans les premiers jours de Juin. On remarqua dans ces réunions Mr de Bryas député, et l’abbé Châtel. Vers la même époque Deschapelles reçut aussi plusieurs visites de M. de Fitz-James, mais en particulier, soit que ces visites se rattachassent aux intérêts exclusifs de la Dynastie déchue (1), soit que l’union des deux partis eut été cachée à quelques républicains de bonne foi dont on aurait redouté l’opposition à de tels arrangemens… "

Deschapelles avait été arrêté le 8 juin 1832 mais fut relâché rapidement comme le duc de Fitz-James, Chateaubriand et Hyde de Neuville (8).  

L’incertitude pourrait planer sur la personnalité de Deschapelles. Était-il carliste, policier, républicain, ultra-gauche ? Ne lui doit-on pas une Loi du peuple écrite en collaboration avec Robert Richard O’Reilly et publiée par ce dernier en 1848 ! N’empêche que ses visites à Béranger, incarcéré à Sainte-Pélagie en 1828 (9) alors qu’il, Deschapelles, émargeait à la liste civile (10) prouvent littéralement qu’il était informateur de police. Sous Charles X on ne pouvait décidément pas témoigner de la sympathie à Béranger et être maintenu sur la liste civile. Et, bien sûr,  ce n’est pas Charles X, c’est Louis-Philippe qui publia la liste civile de son prédécesseur. Pour O’Reilly, l’ami de Deschapelles depuis 1832, à tout le moins (11), l’état des recherches n’offre que deux hypothèses : républicain ou policier. Républicain parce qu’ayant brandi le drapeau rouge en juin 1832, avoir fait sur ces entrefaites plusieurs années de prison, avoir été secrétaire général de la Préfecture de police en 1848. Inversement, cette dernière qualité, secrétaire général de la Préfecture de police, dénote des prédispositions sans oublier qu’O’Reilly (12) fut membre du Conseil d’administration du Mont-de-Piété après la Commune – une idée de policier s’il en fut.

L’amitié entre un Deschapelles carliste et un O’Reilly républicain n’était pas impossible et encore moins une amitié réunissant deux policiers. L’hypothèse Deschapelles républicain ou ultra-gauche et O’Reilly républicain est étayée par cette Loi du peuple, où la garde nationale joue un rôle central, alors que le 15 juillet 1833 O’Reilly adressait de Sainte-Pélagie au républicain Marchais la brochure De la force publique. A toutes les gardes nationales de France, brochure qu’il souhaitait faire publier par Marchais pour l’anniversaire des Trois Glorieuses (AN, cote CC 613).

Gardons nous donc de trancher sur tout, en particulier sur O’Reilly, et dans l’incertitude faisons un bilan de recherches susceptibles de nous éclairer à l’occasion :

  1. l’insurrection des 5 et 6 juin 1832 se prêta-t-elle à des coups de bourse, à des achats à la baisse le 4 juin au soir et à des reventes à la hausse quelques jours plus tard ? Soyons à l’affût d’informations sur la Bourse en juin 1832.

  2. l’attentat carliste de la rue des Prouvaires, au début de 1832, n’avait pu qu’inciter le pouvoir à renforcer les forces de l’ordre stationnées à Paris. On sait que le 4 au soir elles étaient en alerte, peut-être auraient-elles été en force sans mesures supplémentaires. Mais pourquoi ne pas faire l’inventaire des régiments de Paris et de banlieue en juin 1832, pourquoi ne pas vérifier si tel régiment n’avait pas été remplacé par un autre, si le nombre des régiments avait été augmenté, etc. ?

  3. " Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins ", disait l’autre. Parmi d’autres recherches on pourrait ainsi étudier les relations d’affaires d’O’Reilly avec Dorothée Lucie Pépin, veuve de François Etienne Pécheux dit d’Herbinville, le duelliste qui blessa mortellement Evariste Galois. En 1990 j’avais noté chez Me Jean Malleret, notaire, 1, rue d’Alsace à St-Germain-en-Laye, l’existence d’un acte du 14 juillet 1868 entre Mme Pécheux d’Herbinville et O’Reilly. Mme d’Herbinville avait également passé des actes les 23 février 1860, 22 mai 1860, 30 octobre 1872, 8 octobre 1876, 14 novembre 1872, 11 octobre 1876, 19 novembre 1876, 25 janvier 1877 et 31 août 1877. Ce serait l’occasion de rechercher si Pécheux d’Herbinville avait épousé une parente de Pierre-Théodore-Florentin Pépin, le complice de Fieschi. Dans l’affirmative, ce mariage tendrait à infirmer l’hypothèse d’une provocation de Pécheux d’Herbinville contre Evariste Galois.
Pourquoi aussi ne trouve-t-on pas trace d’une pension de Deschapelles pour services militaires ? Les aurait-il prolongés par une carrière civile, et laquelle ? Gardons cette question à l’esprit.  Etc., etc.

Finalement, que de chemin parcouru depuis l’article de Gabriel Perreux (13) mais aussi que de questions !

Notes

  1. Cf. Count H. Eltz, J. Hagerty.- Pedigree of the O’Hegerty Family, 1948, 1 p., 1 tableau. ; Baudrier (Pierre).- Liens de parenté insolites, Héraldique et Généalogie, vol. 10, n° 6, nov.-déc. 1978, p. 391 ;  Bernard (Col M.).- Généalogie Le Breton Des Chapelles, Héraldique et Généalogie, juillet-août 1980, XIIème année, n° 4, (Vol. XII), pp. 266-7 ; Bernard (Maurice).- Famille Le Bretton des Chapelles (Seine et Marne, Saint-Domingue, Louisiane), Généalogie et Histoire de la Caraïbe, n° 64, octobre 1994, pp. 1159-1164 ; Arnaud (Etienne).- Famille Le Bretton Des Chapelles, Généalogie et Histoire de la Caraïbe, n° 71, mai 1995, p. 1345 ; Baudrier (Pierre).- La notoriété de Deschapelles, p. 43 In Blanqui et les blanquistes… [Actes du colloque Blanqui tenu les 1, 2 et 3 octobre 1981 au Centre Malher de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) / Ed. par la ] Société d’Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle, préf. de Ph[ilippe] Vigier.- Paris : SEDES, 1986.- 292 p. ; 23 cm ISBN 2-7181-3116-0 ; Meran (Christoph), Maier (Elisabeth).- Anton Bruckner und Charles O’Hegerty. Zur Geschichte eines lange verschollenen Autographs, Bruckner Jahrbuch, 1994/95/96 (1997), pp. 195-210 ; Matejcek (A.).- Nové podobizny Josefa Manesa [Portraits de la famille O’Hegerty], Umeni, V, 1934, pp. 199-205.

      Il y avait aussi une Marie Anne Brown O’Héguerty, sœur d’Amy Brown.

     

  2. Cf. Chateaubriand (François René de).- Mémoires d’Outre-Tombe / par Chateaubriand. Tome cinquième.- Paris : Dufour, Mulat et Boulanger, 1860, p. 431

     

  3. La lettre de Charles X est aux pages 47-48 de l’ouvrage : Procès de M. Berryer. Cour d’assises du Loir-et-Cher.- Paris : L. Janet, 1832.- 8°, 216 p. ; également p. 217 de : Gisquet (Pierre).- Mémoires de M. Gisquet, ancien préfet de police, écrits par lui-même. Tome troisième.- Bruxelles : A. Jamar, 1841.- 317 p. ; la lettre avait été saisie par la police au domicile du duc de Fitz-James le 1er juin 1832. Dans ses Mémoires l’attaché d’ambassade autrichien Rodolphe Apponyi prétend, récit détaillé à l’appui, que le duc aurait réussi à dissimuler la lettre mais cette version est démentie par les Mémoires de Gisquet et son rapport dont il est question ci-après. Cf. Apponyi (Cte Rodolphe).- Vingt-cinq ans à Paris (1826-1850). Journal du comte Rodolphe Apponyi, attaché de l’ambassade d’Autriche à Paris. Publ. par Ernest Daudet xx (1831-1834) … 4ème éd.- Paris, 1913, pp. 202-3.

      Le duc de Fitz-James fit le voyage de Prague et y revit le roi Charles X dès le 25 octobre 1832. 

     

  4. L’interrogatoire du duc de Fitz-James est aux pages 63-65 du Procès de M. Berryer ci-dessus.

     

  5. Carton E5 26 aux Archives de la Guerre.

     

  6. Publiant la lettre dans ses Mémoires (cf. ci-dessus n. 1) Gisquet l’annote en feignant d’identifier " l’homme à la belle et honorable vie " à Chateaubriand.

     

  7. Le 27 octobre 1823, alors ministre des Affaires Étrangères, Chateaubriand donnait une réponse administrative à un courrier de l’officier François Pierre Gatien Lebreton Deschapelles qu’il avait rencontré en Angleterre mais rien n’indique qu’ils se soient particulièrement connus. La réponse de Chateaubriand – il y est question d’une Mme de Geslas - est reproduite dans Généalogie et Histoire de la Caraïbe, n° 25, mars 1991, p. 299.

     

  8. Cf. Baudrier (Pierre).- Chateaubriand ou Deschapelles ?, p. 5 In Pour André Crépin. La forêt dans la réalité et dans la fiction. Renard dans les vignes. Nains et géants. La femme dans la musique. Religion et littérature. La culture sur les rives de la Méditerranée. Varia.- Amiens : Presses du " Centre d’Études Médiévales ", Université de Picardie – Jules Verne, 2008.- V-488 p. (Études Médiévales, Revue publiée par Danielle Buschinger, 9ème et 10ème années, Numéro double 9-10)

      Thibaudeau fils bénéficia de la même faveur. Cf. Gisquet (Henri).- Mémoires de M. Gisquet, ancien préfet de police, écrits par lui-même [Tome] III.- Paris : Marchant, 1840, p. 117.

     

  9. Cf. Gaulmier (Jean).- Béranger et son médecin, Travaux de linguistique et de littérature, I, Strasbourg, 1963, pp. 219-232. En 1963 Mr Gaulmier n’avait pas pu identifier " ce personnage " de Deschapelles qui apparaissait dans une lettre de Béranger.

     

  10. Cf. Liste générale des pensionnaires de l’ancienne liste civile, avec l’indication sommaire des motifs de la concession de la pension (Cette liste a été dressée en exécution de la loi du 23 décembre 1831.).- Paris : Impr. Royale, 1833.- 490 p.

     

  11. Les affaires privées de Deschapelles, de sa compagne Marie-Anne-Caroline Lefèbvre et d’O’Reilly étaient imbriquées. La légataire universelle de Deschapelles fut Marie-Anne-Caroline. Cf. Baudrier (Pierre).- Le testament de Deschapelles, Europe Échecs. Revue mondiale d’expression française, juin 1980, n° 258, 21ème année, pp. 10-11. Mais à la mort d’O’Reilly, en 1876, Mlle Lefèbvre réclamera sur son héritage le solde lui revenant du compte de liquidation de l’ancienne société Lefèbvre et Cie, rue du Faubourg du Temple 92, société dont O’Reilly avait été partie prenante. Elle paya les frais de l’ultime maladie d’O’Reilly. C’est dire les liens financiers des deux personnages (Notaire CV, carton 1598, janvier 1833). Il faut dire que dans cette liasse de janvier 1833 était ajoutée une pièce évoquant la liquidation de 1876.

     

  12. Donc successeur de … Delahodde à la Préfecture de police ! Delahodde qui, comme on le sait, après avoir été nommé sous la Seconde République secrétaire-général de la Préfecture de police, fut démasqué comme ancien mouchard de la police politique de Louis-Philippe.

     

  13. Cf. Perreux (Gabriel).- La Conspiration gauloise. Un épisode de la conspiration carlo-républicaine, 5 et 6 juin 1832, Bulletin de la Société d’Histoire Moderne, juin 1923, pp. 368-373.
Pierre Baudrier

Article de Pierre Baudrier, distribué sous licence CC-BY-SA.
Cet article a été ré-édité (augmenté) sous la référence : [gey-094-p222] Baudrier (Pierre).- Alexandre-Louis-Honoré Lebreton Deschapelles, Généaologie en Yvelines, n°94, décembre 2010, pp. 222-224.