Prospectus – Dans la littérature et les arts de Fulgence Girard

Mise en ligne d’un texte de Fulgence Girard.

Référence de l’édition utilisée :
Fulgence Girard, « Prospectus – Dans la littérature et les arts », 4 pages dans La Jeune Europe, revue du progrès

Dans cet article, Girard se plaint que l'art sombre dans le commercial et l'industriel, et il invite artistes et philosophes à fixer des buts, des objectifs, afin que les artistes retrouvent le goût du beau.

Extraits choisis:

  • Au milieu de ce siècle de calcul et d’égoïsme, [la littérature] est devenue positive comme les chiffres, glacée comme le moi. La profession de l’artiste a perdu son caractère social pour prendre celui du négoce : le peintre a fait des portraits, le sculpteur a ciselé des vases et des pendules, le littérateur a fabriqué des nouvelles, le poète des couplets ; enfin le génie s’est coté, le talent s’est escompté lui-même.
  • Il faut que tous les hommes de progrès se réunissent pour lui marquer son but, pour lui tracer sa mission nouvelle.

Nous n’avons pas réussi à en savoir plus sur cette revue, ni même la date de publication de l’article. Il semble que Girard en ait été co-fondateur, et que cet article faisait partie des dbuts de la revue (« ce sont eux que nous appelons à réaliser cette pensée dans la revue que nous avons résolu de fonder »).


La Jeune Europe,

Revue du progrès

Dans la Littérature et les Arts.

PROSPECTUS.

Il suffit de jeter un regard superficiel sur la société pour reconnaitre dans tous ses élémens les mêmes principes de dissolution et d’anarchie : dissolution dans la littérature, comme dans la politique ; anarchie dans les gouvernemens, connue dans les arts ; partout ! C’est la lutte des préjugés anciens contre les idées nouvelles, de l’autorité absolue des antécédens contre la liberté de l’intelligence, du rhéteur contre l’artiste, du passé contre l’avenir ; lutte qui se prolonge pourtant sans qu’aucun des partis puisse la résoudre. Pourquoi? Ce n’est certes point faute de puissans talens autour des idées nouvelles : il n’est point une exposition qui ne révèle quelque grand peintre, quelque grand statuaire, à qui il ne manque pour s’élever que l’espace libre ! Et dans la littérature, quelle chaîne que celle dont Chateaubriand, Hugo, La Mennais, Lamartine, Dumas, Sainte-Beuve, Lacroix, Nodier, etc., sont les magnifiques anneaux ; sans compter encore cette foule de jeunes hommes, Barbier, Musset, Royer, Anicet, Gozlan, etc., à qui tous appartient l’avenir !

Ce qui manque aux arts comme à la société ce sont des principes fixes d’où ils partent, un but vers lequel ils tendent, des convictions qui les y poussent ; et c’est ce que l’on cherche en vain dans la civilisation telle que nous l’a faite la critique stérile du dix-huitième siècle. En détruisant elle n’a point songé qu’il fallait rebâtir. Le marteau eût été trop lent, elle a pris la torche ; au lieu de régénérer l’édifice ; cette philosophie voltairienne l’a brûlé, et ne nous a laissé que des cendres pour reconstruire. Un seul écrivain, homme d’intelligence et de sentiment, J.-J. Rousseau, se trouva de pair avec sa mission ; mais sa voix fut étouffée par les criailleries des encyclopédistes, et l’œuvre de destruction fut consommée.

Parce que les principes avaient été faussés par les passions, ils furent enveloppés avec leurs abus ; le lien qui unissait socialement les hommes fut brisé comme la chaîne qui les oppressait ; la religion fut frappée comme le fanatisme, la morale chrétienne comme l’absolutisme catholique : avec les croyances tombèrent les convictions, avec les convictions tomba le dévouement ; et la société se réveilla, un beau jour, égoïste et sceptique, au milieu des ruines. Voilà le secret de l’impuissance où la crise thermidorienne à laissé se débattre le pays, de cette agitation fiévreuse où la littérature s’épuise en vains efforts, de cette atonie où elle s’énerve. S’il est vrai, comme l’a dit Bonald, que la littérature est l’expression des époques, c’est que, lorsque, faute d’inspiration, elle ne peut les formuler d’après elle, elle en devient nécessairement le reflet ; c’est ce qui lui arrive à toutes les périodes critiques, comme cela lui est arrivé dans le nôtre. Au milieu de ce siècle de calcul et d’égoïsme, elle est devenue positive comme les chiffres, glacée comme le moi. La profession de l’artiste a perdu son caractère social pour prendre celui du négoce : le peintre a fait des portraits, le sculpteur a ciselé des vases et des pendules, le littérateur a fabriqué des nouvelles, le poète des couplets ; enfin le génie s’est coté, le talent s’est escompté lui-même ; et, si quelques hommes se sont tenus en dehors de ces étroits sentimens pour chercher, dans leur religion du beau, la pensée d’une œuvre grande et complète, tous leurs efforts n’ont pu aboutir qu’a des compositions dont la magnificence des formes n’a pu masquer l’impuissance réelle. Voilà l’art aujourd’hui ; voilà où en est l’art !

Une révolution lui est nécessaire ; il faut que tous les hommes de progrès se réunissent pour lui marquer son but, pour lui tracer sa mission nouvelle ; à tous ceux à qui les études philosophiques ont révélé les besoins du présent et les idées de l’avenir, de prendre cette initiative : ce sont eux que nous appelons à réaliser cette pensée dans la revue que nous avons résolu de fonder.

Nos doctrines littéraires seront des déductions rigoureuses de nos principes politiques. Liberté, moralité dans l’art.

Nous pensons qu’il y a quelque chose de mieux à faire pour l’écrivain que des périodes harmonieuses et des phrases sonores ; que sa profession n’est point celle du baladin qui se prostitue aux plaisirs des oisifs, mais le sacerdoce du moralisateur qui se voue à l’amélioration des institutions et des hommes ; que c’est surtout dans les temps de conflit et d’organisation qu’il doit imprimer à ses œuvres une direction sociale.

Nous pensons, comme Delatouche, que, « se recuser dans le procès actuel où se débat le genre humain, c’est, de la part des lettres, méconnaître leur vocation ; c’est abdiquer toute magistrature à exercer sur une époque où il s’agit de décider assez périlleusement plus d’une chose : par exemple, si nous serons hommes ou sujets ; si la prospérité restera impitoyablement étrangère à ceux qui travaillent ; qui sera victorieux du droit divin ou du bon sens, de la fraternité populaire ou de la coterie surannée des rois. »

Nous pensons comme Jules Lechevalier que l’art ne doit point ressembler à ces arbustes qui, ne se parent que de fleurs stériles.

Nous pensons, comme Lherminier enfin, que l’artiste exerce sa part de souveraineté en moralisant les citoyens.

Dans la forme la révolution doit selon nous être aussi radicale que dans la pensée.

La féodalité littéraire n’a point eu sa nuit du 5 août ; il faut la faire. Nous ne sommes pas de ceux qui s’inclinent devant les préceptes, parce qu’ils ont la consécration et le vernis des temps ; nous ne reconnaissons pas plus le droit divin d’après Aristote et le Constitutionnel que d’après la Quotidienne et la sainte ampoule ; nous demanderons compte au passé de ce qu’il nous lègue, réputations et poétiques ; nous rejetterons tout ce qui est convention, pour n’adopter que ce qui a la raison et la vérité pour base.


Scanned by Baptiste. OCR by Josh C.M. 2008-2009, Verified by Baptiste.
Retour à la page de Fulgence Girard

Ce texte a fait l’objet d’un travail éditorial créatif protégé par le droit d’auteur. © – Tous droits réservés.